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Le Réseau d'échanges réciproques de savoirs (RERS) de Bourges est une association créée il y a près de 30 ans dans les quartiers les plus défavorisés.

Ses 3 pôles -échanges de savoirs, Rivage(accompagnement des parentalités), mieux vivre-ensemble- réunissent au quotidien dans le partage d'activités ou de savoirs, des personnes de tous âges, origines et convictions.

Le RERS permet à des habitants qui ne se seraient jamais parlé, de le faire.

Artisan de paix ? Rencontre avec la responsable, Amélie Demongeot.

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Amélie, en dépit de l'individualisme et du repli identitaire ambiants, le Réseau que vous animez avec une équipe dégage une atmosphère de respect mutuel et de vitalité: quel en est le secret ?

 Le secret c'est que l'association est reconnue espace de vie sociale, un dispositif porté et financé par la CAF ; l'espace de vie sociale est un lieu où tout le monde peut être accueilli, tout le monde peut être acteur, tout le monde est au même niveau : pas de différence entre les gens. On est basé sur les échanges de savoirs en réciprocité ouverte.

Pour nous, tous les savoirs ont la même valeur, tout le monde a des savoirs, tout le monde souhaite en acquérir, et tout le monde est au même niveau. Voilà pourquoi plein de personnes ici échangent beaucoup ; on peut ajouter aussi qu'un accent est vraiment mis sur la convivialité, l'accueil, pas seulement par les salariés ou nos stagiaires quand ils sont là, mais par les réseauteurs eux-mêmes ; ce que j'entends par réseauteurs, ce sont les adhérents, les bénévoles, les habitants, tout le public, l'équipe du CA, l'équipe des salariés : on est tous des réseauteurs en fait, et donc l'accueil se fait par tout le monde, avec un petit café, un gâteau, ça aide aussi ! Il y a vraiment des gens, j'ai discuté avec certains, qui autrement ne se seraient pas rencontrés ou ne se seraient pas parlé.

C'est même assez magique parce que des équipes se constituent de gens qui ne se seraient jamais rencontrés, au hasard d'une offre et d'une demande, d'une activité commune ou collective. Pour la collecte de la banque alimentaire on avait des binômes assez improbables, de gens qui pouvaient être en situation de handicap et d'autres ayant dans leur vie professionnelle un bac + 5. Et ça fait équipe. Pas de recette miracle, ça se fait un peu tout seul, je pense que c'est dû à l'ambiance instaurée par l'équipe, et par les réseauteurs eux-mêmes.

 Des habitants hors du Réseau bénéficient aussi de cette richesse, en témoigne l'appel que vous avez reçu pour un immeuble où il y avait des soucis...

C'est square Franz Lehar, l'an dernier. Il y avait des difficultés de vivre ensemble dans ces immeubles, des problématiques parce que les enfants jouaient dehors, faisaient trop de bruit, des voisins qui ne s'entendaient pas, ne se comprenaient pas, ne communiquaient pas. Cela avait été relevé par l'association le Relais qui gère un habitat inclusif (dispositif relais pour personnes en difficulté, hébergement à moindre coût avec accompagnement), et par la Gestion urbaine et sociale de proximité et du diagnostic en marchant (GUSP).

Sur ce constat que le vivre ensemble ne fonctionnait pas très bien, une première idée avait été de faire une sorte de kermesse en pied d'immeuble un après-midi avec un goûter offert aux habitants, pour essayer de créer du lien. C'est dans ce cadre que le Réseau a été contacté. Après cette première journée nos salariés, Nicolas et Bachir, ont compris qu'il serait intéressant d'y retourner régulièrement. Avec le médiateur social de la Ligue de l'Enseignement ça s'est organisé autour d'après-midis de convivialité avec un petit goûter, des jeux avec les enfants. Et on constate que plus on est réguliers -là c'est à peu près une fois par mois-, plus on échange avec les habitants, plus le vivre ensemble s'améliore là-bas.

 Précisons qu'au début l'accueil a été peu engageant, des habitants vous ont jeté du haut des étages, des couches...

 … Des couches pleines, par les fenêtres. Certains de ces habitants sont venus nous voir par la suite pour nous remercier. C'était avec Bachir et Nicolas, les membres de l'équipe, et maintenant quand on y va les enfants traversent la rue, viennent nous saluer, ils sont vraiment reconnaissants de cette action, et sont demandeurs pour que ça se produise minimum tous les mois, voire plus. Avec la Ligue on envisage de continuer cette action avec d'autres partenaires.

 Outre ces initiatives avec les habitants, le RERS est un acteur reconnu des politiques de la ville, comme la GUSP.

Cela concerne principalement, mais pas que, le Pôle Mieux Vivre Ensemble dont le référent est Nicolas, qui est invité aux instances. On entend par instances les réunions dans le cadre du Nouveau plan de renouvellement urbain (NPRU) sur le quartier de Gibjoncs : cela concerne les changements, les transitions du quartier, la gestion urbaine et sociale de proximité, les conseils citoyens. Cela permet à Nicolas et à l'ensemble de l'association de faire le lien entre les habitants et ces instances, dans les deux sens : lui fait remonter la parole des habitants du quartier, ce qui fonctionne bien et ce qui fonctionne moins bien, et quand il a des informations directement du NPRU ou de la politique de la ville, il peut les transmettre aux habitants sous forme de réunions habitants ou de balades à la découverte des nouveautés des quartiers.

Le thème du congrès de CVX porte sur les « artisans de paix », pensez-vous que le Réseau apporte une contribution à la paix de la cité, ou à la paix des gens en eux-mêmes ?

Oui, ça se constate tous les jours. Déjà par rapport à la diversité dont on parlait tout à l'heure, ici tout le monde s'entend.

Deux de nos salariés sont des médiateurs, formés à la médiation sociale. Cette formation de base jointe à l'essence-même de notre association, fait que les gens s'entendent, apprennent à se connaître, à se comprendre, à prendre les forces de chacun et à faire équipe.

Donc ça au sein du Réseau ça fonctionne. Et on a des actions « d'aller vers », telles que Franz Lehar et le Barnum sur les quartiers, qui permettent de faire du lien avec les habitants, entre eux, et avec les institutions et les partenaires du territoire. Cela contribue à mon sens à ce que les choses soient moins tendues. Il n'y a pas de miracle mais cela contribue, c'est sûr. On a l'habitude de dire qu'on sait ce qu'on produit, pas toujours ce qu'on empêche.

Des gens, notamment des jeunes fréquentant le Réseau, témoignent que s'ils n'étaient pas au Réseau par exemple lors des Mercredi Jeunesse, ils seraient à l'extérieur et pas forcément pour des choses très légales, on va dire, ou très dans la paix. Donc on sait que cela contribue.

Vous travaillez dans le secteur social depuis longtemps, vous avez rencontré des réfugiés, des jeunes chassés de chez leurs parents, des personnes blessées intérieurement. Qu'est-ce qui les aide à se reconstruire ?

Déjà, quand on leur dit qu'ils ont quelque chose à apporter. Ils prennent conscience qu'ils ne sont pas forcément seulement quelqu'un qui a un besoin, qui est en demande, a besoin d'être accompagné : ils ont aussi des choses à apporter. Et par la valorisation des compétences, des savoirs et de ce qu'ils sont, tout simplement, ça contribue à aller un peu mieux.

A la lumière de votre expérience, quels éléments dans un quartier ou une ville favorisent la paix entre les gens ?

On l'a déjà un peu dit. C'est beaucoup organiser des choses tous ensemble. Et que tout le monde ait sa pierre à apporter à l'édifice, notamment sur l'animation locale. Quand on fait l'Eté des 7 jeudis, (apres-midis d'été au bas des immeubles où les gens ne partent pas en vacances, avec jeux en bois, quiz, ateliers maquillage..., et assiettes et boissons à 0,50 €, préparés par des associations locales), tout le monde participe : ça va des membres du CA, aux partenaires, en passant par les réseauteurs, les personnes qui viennent apprendre le français, qui n'ont pas été à l'école dans leur pays, jusqu'à quelqu'un qui a pu être bac + 5, bac + 6, avant d'être en retraite. Il y a tout le monde. Tout le monde organise ensemble. Donc ça contribue.

Au travers de votre investissement au Réseau, dans ce que vous voyez et à quoi vous participez, qu'est-ce qui vous émerveille ?

Tout. J'adore ce qui se produit ici. Je pense que la vérité, je dirais presque de l'humanité, elle est là, quelque part. Le Réseau détient une certaine forme de vérité. Évidemment, ça semble exagéré mais c'est un peu ce que je ressens. On est dans le vrai quand on considère que tout le monde a quelque chose à apporter, que tout le monde a besoin des autres, et qu'on peut faire des choses tous ensemble, chacun à notre niveau.

Ça peut aller de porter des chaises, à l'ingénierie de projet. Et vraiment je trouve ça assez génial. Par exemple dans mon bureau, tout ce qu'il y a ici et aux murs on me l'a offert, cela a été fabriqué au sein du Réseau. C'est des œuvres d'art assez originales comme conception, du créatif, de l'atelier peinture... Et encore, on ne voit pas tout ce qui est produit en couture, en tricot...

Les réseauteurs ont cette philosophie : ils font pour eux-mêmes et ils font pour les autres aussi. C'est comme ça que dans mon bureau, bientôt, il n'y aura plus de place ! Il y a aussi des choses posées dans l'entrée de nos locaux pour participer à la décoration. Donc, ça, c'est assez génial. Parce qu'il y a cette volonté de recevoir et de donner aussi.

 

Propos recueillis par Thierry Boussier

 

En savoir plus sur le RERS, cliquer ici, sur son pôle Rivage (accompagnement des parentalités), réécouter RCF.