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VU PAR UN DIACRE

« La paix commence quand chacun est artisan de paix là où il vit »

Ancien arboriculteur, Antoine Gangneron est le président d'un jardin partagé de maraîchage où des bénévoles, notamment des migrants et des personnes marquées par des difficultés diverses, travaillent la terre et s'en partagent les récoltes.

 Ce père de famille qui a assumé de nombreuses responsabilités en Église et dans la vie citoyenne, est diacre.

 Il réfléchit ici avec nous à ce qui peut conduire à la paix.


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Antoine, vous avez été chef d'entreprise et êtes actuellement conseiller prud’homal : est-ce que la volonté de préserver ou de rétablir la paix sociale peut influer sur une décision ?

Personnellement je n'aime pas le conflit. Donc je vais essayer de tout mettre en œuvre pour qu'on puisse se parler, à l'intérieur de l'entreprise quand j'étais en activité. Conseiller prud’homal, c'est un autre aspect de ma vie ; c'est être au service.

Je suis diacre et le diacre est quelqu'un qui est au service. Au service de la liturgie, de la parole de Dieu, des pauvres. Comme conseiller prud’homal c'est être au service de la justice, et des hommes et femmes qui peuvent être en conflit : qu'ils soient capables de se parler calmement. Puis trouver la bonne issue au conflit, la bonne mesure, la bonne justice.

Être dans la paix puisque c'est votre thème, demande d'accepter de faire de petites avancées, d'être humble, à l'écoute, et de mettre son orgueil de côté. Comme conseiller prud’homal c'est faire que le plus petit puisse s'exprimer. Le plus petit, c'est pas forcément le salarié : nous rencontrons des employeurs dans des situations très précaires, sans avocat, qui se défendent plus ou moins bien. Donc il s'agit d'être à l'écoute, de pouvoir rassurer les gens, d'écouter un salarié en détresse.

La paix est une valeur qui compte à vos yeux ?

C'est hyper important. Nous le voyons dans nos grands conflits internationaux. Mais elle commence par le fait que chacun d'entre nous soit artisan de paix là où il vit. Dans sa famille, son travail, son voisinage, ses relations sociales, associatives, communales. Être artisan de paix déjà dans les petits actes de la vie de tous les jours.

Votre parcours professionnel vous a sans doute confronté à des situations déstabilisantes. Avez-vous cherché à retrouver la paix, une paix intérieure ?

Ce n'est pas facile quand nous sommes complètement déstabilisé, quand des situations vous plombent, vous empêchent de dormir. Je n'ai pas de recette miracle, ça prend du temps, il faut déculpabiliser. La foi peut aider en confiant cela tout simplement au Seigneur : « Voilà, ce conflit, cette situation, me pourrit la vie. Seigneur, prends-moi tel que je suis avec toutes mes insuffisances ». Essayer de ne pas se monter la tête... mais je suis un peu comme ça à chercher à tout régler par moi-même. Quelque part c'est lâcher prise. Ne pas dire «Je vais y arriver avec mes propres forces », parce que là je ne vais pas y arriver tout seul.

Vous nous recevez sur le terrain des Jardiniers d'eau, ce jardin partagé au cœur des Marais de Bourges, que au long des siècles les moines ont transformés en terre fertile. En quoi cette association est-elle artisan de paix ?

Je voudrais déjà parler de mon parcours. J'étais très engagé au niveau professionnel, dans mon exploitation agricole et la coopérative fruitière que j'ai présidé de très nombreuses années. Comme je l'ai dit le diacre est un serviteur de la parole de Dieu, de la liturgie, des pauvres. Je me disais : « Mais comment suis-je serviteur des pauvres dans cette vie professionnelle bien remplie ? », parce qu'il faut bien faire tourner l'entreprise et la coopérative. Bien sûr j'embauchais des personnes en précarité qui cherchaient du boulot, mais est-ce suffisant ? Un proche m'avait dit « Attends tu verras, tu ne peux pas tout faire en même temps, le jour viendra... »

Et le hasard a fait qu'au moment où j'ai pris ma retraite, l'évêque m'a demandé de prendre en charge cette association des Jardiniers d'eau, et sa présidence. Je ne m'attendais pas forcément à ça... Et là je découvre un monde nouveau, et c'est vraiment une grande joie pour moi les Jardiniers d'eau. Nous faisons un jardin partagé avec des personnes en précarité : des migrants, des personnes isolées, des personnes qui souffrent dans leur tête, dans leur corps, des retraités qui se disent « J'ai envie de faire quelque chose pendant ma retraite, ou je n'ai pas envie d'être tout seul, ou j'ai envie de pratiquer une activité physique, de rendre service... ».

Donc cette association crée du lien social entre personnes très différentes et nous ouvre à l'autre. Elle nous ouvre aux difficultés et à la richesse d'autres complètement différents. C'est vraiment une grande joie cet accueil de l'autre dans la paix.

Est-ce que dans notre société où pèsent le repli et le communautarisme, ce que vous venez de décrire apporte une contribution positive ?

A notre petit niveau oui, cette communauté de gens très divers réunis autour d'une activité, autour du travail de la terre. Je suis un homme de la terre, j'ai toujours aimé la Création, la nature, tout ce qui pousse... Avec ce travail nous créons une activité humaine riche de sens, de solidarité, d'amitié. C'est la terre, le maraîchage dans le respect de la Création. Notre slogan « Écologie et partage, tout est lié », fait référence à l'encyclique du pape François, Laudato'si.

Les Jardiniers d'eau respectent la Création, nous sommes certifiés agriculture biologique, et en même temps nous partageons : nous partageons le travail, nous écoutons le plus faible, nous écoutons les uns les autres avec leurs soucis, leurs problématiques. Nous partageons le travail et les légumes, les fruits de notre travail : en symbolique je trouve que c'est beau.

Dans l'évangile Jésus nous assure: « Je vous laisse ma paix, pas comme le monde la donne »... alors comment la donne-t-il ?

...Ah, la paix du monde, la paix des hommes... Dieu, lui, est d'une générosité sans limite : quand l'eau est changée en vin il y en a des quantités, et c'est du bon ! A la pêche miraculeuse il y en a des quantités et c'est très bien. A la multiplication des pains il y en a des quantités, et même il en reste : Dieu n'est pas limité, sa paix est immense, son amour est immense pour les hommes. Moi, je vais souvent calculer la paix : je vais te serrer la main, mais bon... Les dirigeants essaient de faire une paix quelquefois limitée, nous le voyons dans l'histoire de l'humanité. Parfois la paix est signée dans de mauvaises conditions et la guerre repart.

Dieu, c'est une paix sans limite, immense, pour chacun d'entre nous. Tout le monde est concerné, croyant, pas croyant, pratiquant, non-pratiquant... Dieu est là. Son amour et sa paix sont sans limite. Dieu est tendresse et pitié pour chacun d'entre nous, lent à la colère est plein d'amour. Et si nous, chacun d'entre nous, devenions lents à la colère et pleins d'amour ?...

 

En savoir plus : sur le site des Jardiniers d'eau

Propos recueillis par Thierry Boussier