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APRES UN GENOCIDE

« Le Dieu auquel je crois est Dieu de miséricorde, et aussi tout-puissant »

Valérie Mukunzi fuit le Rwanda en 1994.

Arrivée en France en 2000, elle décroche un CDI moyennant un lever quotidien à 4H30, et élève seule 4 enfants.

En 2011 elle fonde l'association MECE* pour offrir aux enfants des collines de sa région natale une école ; ils sont aujourd'hui 700, de la maternelle à la fin du collège.

Envers et contre tout, Valérie a maintenu à Dieu sa confiance.

Son propos sur la paix a passé l'épreuve du génocide**.

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Valérie, dans quelles conditions êtes-vous arrivée en France ?

 Avant de quitter le Rwanda j'ai beaucoup bougé dans mon pays. Quand la guerre a commencé en 1990 les habitants de ma région (Byumba, où débuta la guerre) ont commencé à se déplacer. Dans ma famille on s'est séparés à cause de la guerre. Je fuyais sans cesse pendant 4 ans.

Le génocide de 1994 est un événement qu'on ne peut pas imaginer.

On ne s'y attendait pas. J'étais dans un village, je ne pensais pas que puisse arriver ce qui est arrivé.

J'ai vu des gens, et des membres de ma famille, tués à la machette, d'autres au fusil ; aussi des amis, des collègues. J'ai marché trois mois à partir d'avril 94 et j'ai quitté le Rwanda. Je suis passée par le Congo, l'Ouganda, le Cameroun, le Kenya... Dans ces pays on faisait comme on pouvait, on se déplaçait à pied ou en transports en commun. A cette période chaque jour je m'attendais à mourir. Je n'avais pas d'enfant. Je n'avais pas de travail. Comment ai-je fait pour survivre, c'est grâce à Dieu. Il y a des choses qu'on ne peut pas expliquer, vraiment on vivait par grâce de Dieu. En 2000 j'ai pris l'avion pour France.

 Avec quel état d'esprit ?

 Ce que je voulais c'était trouver la paix. Avoir la paix, que je sois tranquille. A cause des événements que j'avais traversés. Arriver en France était pour moi le miracle : j'ai recommencé ma vie à zéro sans oublier mon pays natal.

 Durant la guerre et le génocide vous avez prié...

 Spécialement le chapelet. Je ne peux pas oublier ce qu'était chaque jour ma prière pendant le génocide: « Qu'on me tue avec un fusil, pas avec une machette ». Je voyais les gens à qui on avait coupé les jambes, et pire, et je priais le Seigneur ; je ne m'attendais pas à survivre. C'était au jour le jour, j'espérais vivre jusqu'au lendemain.

 Avez-vous pensé que Dieu n'entendait pas votre prière ?

 A des moments je me disais : « Le Seigneur il est où ? S'il existe, pourquoi cela ? » Mais quand que je réfléchissais -car quand tu es en colère c'est différent-, je voyais que Lui on l'a sacrifié ; les gens à qui il a fait du bien, qu'il a guéris, qu'il a sauvés, devant Pilate et sur le chemin de croix ils disaient : « Qu'on le crucifie, qu'on le crucifie ! ». Pour juger les génocidaires on se posait la question : « Pourquoi on tue des gens comme ça ? » Mais en regardant de près on voit que depuis longtemps il y a la haine. Jésus a sauvé du monde, il a guéri, mais quand Pilate a posé la question de le libérer, les gens ont préféré qu'on relâche un meurtrier. C'est la méchanceté : lui n'avait rien fait de mal. C'est à çà que je pensais.

 Connaissez-vous des personnes qui ont perpétré ces massacres ?

 Quand cela a commencé on s'est cachés. Les gens qui ont commis le génocide sont des gens qu'on connaissait, des voisins. A cette période je n'arrivais pas à comprendre pourquoi cela : avant on s'entendait bien, on était voisins, il n'y avait pas cette haine.

Mes parents par exemple étaient de deux ethnies différentes. On était des humains.

Mais pendant le génocide je voyais que c'était le diable. J'attendais la guerre mais je n'ai jamais vu la guerre : ce qui s'est passé, on ne peut pas l'imaginer. Je voyais des voisins, des amis s’entre-tuer. Je me posais la question : est-ce que ces gens étaient drogués, ou devenus fous ? C'est impossible à imaginer, je ne peux pas l'expliquer. Qu'est-ce qu'il se passait en eux ?

 Au Rwanda, revoyez-vous ces personnes ?

 Parmi ceux qui ont participé à cela, beaucoup sont punis ; les autres sont morts. Ce que je vois aujourd'hui quoiqu'il arrive, c'est le pardon. Oui.

Parce que si je n'arrive pas à pardonner, je ne pourrai pas surmonter la douleur, ni me construire moi-même. Pardonner n'est pas oublier. Mais le Dieu auquel je crois est Dieu de miséricorde. Et tout-puissant.

Ce n'est pas facile à dire, et pas facile à vivre. Mais pour construire la paix il faut le pardon.

 Même si on ne vient pas demander ce pardon ?

 Oui. Mais je n'ai pas oublié. Aujourd'hui 30 ans après, il m'arrive encore de faire des cauchemars. J'ai su qu'après le génocide on avait sensibilisé les gens, ceux qui ont commis le génocide et ceux cachant des gens y ayant participé. Certains demandent pardon.

 Diriez-vous que vous êtes en paix quand vous y retournez ?

 Oui mais je ne souhaite à personne de vivre ce qu'on a connu.

A l'international ceux qui ont un pouvoir, s'ils intervenaient dès le départ pour faire de la médiation avec bonne volonté, ils pourraient empêcher des conflits de dégénérer.

Il faut sensibiliser les gens à ne pas faire du mal mais à faire du bien. Si on arrive à faire du bien on arrive à se construire et à construire un monde meilleur. Ceux qui ont commis le génocide, s'ils ont une conscience je crois qu'ils regrettent ; il y a des prisons où des détenus disent regretter leurs actes. Quand tu as fait du mal, tu n'as pas la paix en toi.

 Vous avez voulu créer une école, là où vous avez échappé à la mort...

 Je dis d'abord merci à la France, le pays qui m'a accueillie, qui m'a adoptée : c'est mon pays aujourd'hui.

Mais quoi qu'il arrive le Rwanda reste mon pays natal, que je n'oublie pas. Après ce qui s'est passé j'avais envie de construire dans mon pays natal, spécialement pour l'avenir des enfants. Aider les enfants à acquérir le savoir, lire et écrire, sans devoir marcher parfois 20 km dans la journée, et le ventre le vide faute de cantine. Construire une école pour tous, mais en priorité pour les filles. J'ai créé MECE et nous sommes aujourd'hui tout une équipe bénévole, on fait des actions pour récolter des fonds et nous sommes soutenus ici par plusieurs collectivités locales.

Si tu es civilisé il y a des choses que tu ne peux pas commettre. Savoir ce qui s'est passé, connaître l'histoire, aide à démasquer les propagandes ; ce n'est pas possible quand on ne sait ni lire ni écrire ; j'ai vu des exilés mourir parce qu'ils avaient continué leur chemin après un panneau alertant « danger de mort », qu'ils n'avaient pas compris.

Je dis toujours que l'éducation est la base de tout.

 Pourquoi avoir baptisé cette école St Vincent de Paul ?

 C'est un saint que j'aime, ami des pauvres et des petits. Il y a la Trinité, Jésus, le Père, Marie, mais lui est le saint que je préfère, lui qui a dit :« Que toute chose soit faite avec amour ».

Toute petite je suis entrée dans la communauté des sœurs de St Vincent de Paul. Je n'ai pas pu continuer, mais toujours je suis restée dans le charisme de St Vincent de Paul, l'ami des enfants et des pauvres, c'est mon patron !

 Après ce que vous nous avez sobrement relaté, qu'évoque pour vous la Béatitude des Artisans de paix ?

 Quand tu sèmes la paix tu donnes la joie, tu sauves du monde. Avoir la paix n'est pas facile avec ce que j'ai traversé. Mais on doit surmonter quand on croit, et s'aimer. Comme Jésus on doit prendre la croix. Si tu n'es pas en paix toi-même, pour la donner à quelqu'un d'autre c'est difficile. Si tu ne souhaites pas à quelqu'un du mal et que tu veux la paix, que tu l'as en toi, ça donne de la joie. Et cela construit quelqu'un.

Après ce que j'ai vécu, le génocide et le départ de mon pays, maintenant que je suis en vie c'est le moment de rendre grâce à Dieu qui m'a sauvée, et c'est le temps d'aider à sauver les autres.

On m'a demandé d'adopter un adolescent originaire du Mali, qui avait été adopté et grandi en France mais venait de perdre sa mère adoptive. C'était aux 30 ans du génocide. J'ai accepté, moi qui ai été sauvée. Si je peux sauver quelqu'un d'autre, pour moi c'est rendre grâce à Dieu.

*association MECE

**D'avril à juillet 1994, le génocide au Rwanda a fait selon l'ONU 800.000 morts.


Recueilli par Thierry Boussier