LA PAIX DANS L'ACTION SYNDICALE
« Une négociation où on arrive en guerre c'est une négociation perdue »
Le syndicalisme, encouragé par la Doctrine sociale de l’Église, est par moments un lieu de combat.
Qu'en est-il alors de la paix ?
Nous avons interrogé un syndicaliste qui milite depuis une trentaine d'années, responsable départemental CFDT, premier syndicat de France.
Rachid
Bouadma s'exprime ici à titre personnel.
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Rachid Bouadma en marche vers une manifestation. Photo DR
Bonjour Rachid. Que représente pour vous, syndicaliste, le mot « paix » ?
En premier il évoque la stabilité. Ensuite être en paix avec soi-même c'est-à-dire arriver à une réunion où on se sent à l'aise, où le stress n'est plus là : je maîtrise mon sujet, je sais que ce que je vais dire n'est pas faux, que je le ressens fortement, avec des convictions : je suis en paix avec moi-même quand je vais ainsi à des réunions.
En entreprise est-ce que la paix est toujours un objectif, et un objectif atteignable ?
Quand on part à une réunion en entreprise ou en conseil d'administration, le but est d'y aller en paix, pas en guerre. Pas d'y aller pour se dire : je vais tout retourner, ou encore j'y vais pour imposer mes idées. Mais pour atteindre cet objectif il faut être convaincant, sûr de ce qu'on avance, avec de la documentation. Il ne faut pas que ça soit que de la parole mais amener de vrais faits. Quand j'y vais c'est en paix, pas pour aller en guerre, loin de là. Pour moi une négociation où on arrive en guerre c'est une négociation perdue.
Parfois une grève ou une manifestation apparaît comme la seule issue, et la paix semble disparaître...
Quand on a tout donné lors d'une négociation, qu'on a tout épuisé et qu'on n'arrive pas à obtenir quoi que ce soit, quand on n'a rien du tout même pas 10, 20 ou 30% de ce qu'on a demandé, quand la personne en face de vous est arc-boutée, effectivement le seul recours c'est la grève ou le débrayage. Mais c'est pas parce qu'on va à une grève ou un débrayage qu'on s'en va en guerre.
Toujours tournés vers une paix
On reste toujours tourné vers une paix en se disant : cette action va peut-être permettre de revenir à la table des négociations et de pouvoir arracher quelque chose. C'est pas dire : on va tout casser, on va couler l'entreprise, c'est pas ça du tout. Mon objectif quand on y va n'est pas de partir en guerre. C'est: « on a tout épuisé, on a montré notre mécontentement, aujourd'hui le seul recours c'est la grève ou le débrayage », en espérant faire comprendre à la partie adverse de revenir autour de la table pour pouvoir renégocier et essayer de 'rechopper' quelque chose. Le but, c'est ça.
A vos yeux quelles sont les conditions pour que la paix sociale prévale dans une entreprise ?
J'aurais tendance à dire qu'il y a plusieurs critères. Il faut des délégués d'entreprise -quand il y en a-, réellement investis, maîtrisant bien leur sujet. Également un employeur ayant un côté financier mais aussi un côté social, vraiment, pas uniquement financier. Et savoir de temps en temps mettre un genou à terre, aussi bien l'employeur que le syndicat ou les salariés quand les conditions ne sont pas requises pour avoir quelque chose.
Ça ne peut pas être tout le temps le même qui gagne
Par exemple l'employeur va vous dire « J'ai perdu X chantiers, je ne suis plus en mesure de vous donner beaucoup d'augmentation voire pas du tout », le syndicat voire les salariés doivent mettre un genou à terre en disant « Effectivement c'est vrai, c'est chiffré, les délégués du personnel l'ont admis ». D'un autre côté, quand les affaires marchent très bien, l'employeur doit mettre un genou à terre en disant : « on a fait une belle année, je suis redevable, je vous avez fait du bon boulot je vous paie ». C'est ça le but, chacun doit admettre quand ça va et quand ça va pas. Si on arrive à cela on aura une ligne de paix : un jour c'est l'un, un jour c'est l'autre, ça ne peut pas être tout le temps le même qui gagne.
Un responsable syndical peut être amené à défendre des orientations qu'il ne partage pas. Comment est-ce que cela se gère ?
Cela peut arriver, des orientations de mon organisation syndicale avec lesquelles je ne suis pas tout à fait d'accord. Mais quand ça a été décidé c'est généralement issu des congrès, les syndicats se sont prononcés, et du moment où c'est passé à plus de 51%, même si on a combattu cet amendement on doit l'adopter ; c'est l'histoire de mettre un genou à terre, pareil. Ou alors vous sortez de l'organisation. Si on veut être en paix avec soi-même il faut aussi savoir se dire que l'union fait la force ; quand ça a été voté démocratiquement, on doit être dans les rangs. Quand vous êtes convaincu de quelque chose vous arrivez « armé » comme je le disais, vous êtes en paix avec vous-même. Quand vous étiez contre quelque chose qui est finalement passé à la majorité, l'exercice est un peu plus difficile. Mais c'est l'expérience qui fait que vous allez être capable de le faire quand même.
Le thème de notre congrès est tiré de l'évangile des Béatitudes : « Heureux les artisans de paix, ils seront appelé fils de Dieu ». A titre personnel, que vous inspire cette proclamation ?
Je trouve que c'est une très bonne phrase. C'est quelque chose qui est beau, qui sonne gentil. Une phrase comme ça m'inspire de la paix, de la sagesse. Elle m'inspire aussi le rassemblement d'un peu tout le monde.
Recueilli par Thierry Boussier