LA PAIX DANS LA BIBLE
« La paix n'est pas l'équilibre de la terreur mais l’œuvre de la justice »
Que dit Jésus de la paix ?
Le père Édouard Cothenet, prêtre en paroisse, théologien, spécialiste de St Paul et traducteur d'un des livres du nouveau Testament, nous répond.
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crédit photo : diocèse de Bourges
Bonjour Père Cothenet. L'évangile nous rapporte ces paroles de Jésus :
«Je vous donne ma paix», mais aussi : «Je ne suis pas venu apporter la paix», et «Heureux les artisans de paix»...
Que faut-il comprendre ? Quel éclairage apporte l'Ancien testament ? Pour entrer dans la perspective biblique, il faut tenir compte des points de départ. Dans le monde biblique, quand on rencontre quelqu’un, on le salue : « Shalom », « Salem », « Salemleka » ; on lui souhaite santé, bonheur, et on veille à être en bonnes relations avec ses voisins.
Les psaumes de montée à Jérusalem, les psaumes de pèlerinage évoquent ce bonheur, très simple, accessible. Quand le Christ envoie ses apôtres apporter la paix, cela part de là. Le beau psaume 127 : « Tu te nourriras du travail de tes mains, heureux es-tu ! » s'achève ainsi : « Et tu verras les fils de tes fils. Paix sur Israël ! ». Le point de départ est dans les relations de voisinage. Le code de sainteté prévoit de relever l’âne de son voisin tombé sous le poids. Ceci s'étend aussi aux guerres, à l'étranger qui vient se fixer parmi vous. Lui aussi il faut le respecter : c'est le point de départ.
L'époque d'Isaïe, le grand prophète de la paix, est celle des invasions assyriennes avec leurs guerriers redoutables et impitoyables. Dans le passage qu'on lit à Noël, le prophète relève le courage du roi Akaz qui tremble de tous ses membres, il lui dit : « Si tu crois, tu seras sauvé ». Si tu crois... Il ouvre une perspective. Sa prophétie développe les dons du Messie, qui sera soutenu par les dons de l'Esprit saint pour assurer droit et justice dans le pays.
Une formule capitale chez Isaïe
Il y a chez Isaïe une formule capitale, une des bases de la doctrine sociale de l’Église : « La paix, œuvre de la justice ». La paix n'est pas l'équilibre de la terreur mais l’œuvre de la justice. Ceci est repris par Vatican II.
Le plus beau texte d'Isaïe est celui du pèlerinage des nations qui montent à Jérusalem pour y trouver la paix (Is, 2), avec le fameux oracle des armes transformées en charrues. C'est le rêve de Martin Luther-King. Quand on pense à la situation actuelle, comment est-ce possible ?!
Le grand tournant se situe à l'époque des Macchabées, où apparaît la première persécution religieuse ; des juifs refusent de se soumettre aux rites de Zeus. La vraie question est là : qu'est-ce que le zèle pour Dieu ?
Le paradoxe est que lorsque Jésus choisit ses apôtres, il y a parmi eux Simon le zélote et d'humbles pécheurs, comme Simon ou Jean, et aussi le publicain Matthieu. C'est très composite. Il faut toute l'autorité de Jésus pour assurer l'unité des Douze.
Pour comprendre il faut partir du message de Jésus à Nazareth -c'est le texte utilisé pour le Jubilé de cette année. Arrivant dans son village d'origine Jésus proclame « l'Esprit du Seigneur est sur moi, pour annoncer la Bonne nouvelle aux pauvres » ; la citation s’arrête là alors que le texte d'Isaïe poursuit: « Pour assurer la vengeance », ce que Jésus élimine. Il ajoute: « Cette parole se réalise pour ceux qui l'écoutent ». Justement Jésus va ouvrir les horizons en évoquant le miracle pour la veuve de Sarepta, ou la guérison de Naaman, l'ennemi d'Israël. C'est à ce moment que tout éclate, que Jésus est chassé.
L'évangile de Luc permet de voir l'importance de cette formule « Va en paix ». Elle est utilisée dans beaucoup de guérisons, comme avec la pécheresse pardonnée à qui il sera pardonné parce qu'elle a beaucoup aimé: « Va en paix ».
Première mission des apôtres envoyés par Jésus
Lorsque les apôtres sont envoyés en mission deux par deux, la première chose qu'ils ont à faire est d'apporter la paix dans le village. Si cette paix est accueillie ils vont rester, soigner les malades, faire des guérisons... Le projet est bien cette paix : remettre la paix dans la relation avec Dieu et avec le prochain. C'est tout le message du sermon sur la montagne, qui est au cœur de l'évangile.
Et Jésus se heurte de plus en plus à l'opposition. Lorsqu'il décide de monter à Jérusalem, « Il durcit sa face ». Il est résolu. Malgré les menaces il y va. Il envoie ses disciples préparer son chemin, passant chez les Samaritains qui refusent de l’accueillir parce qu'il va à Jérusalem ; Jacques et Jean s'écrient « Si tu le veux nous faisons tomber le feu du ciel sur ces inhospitaliers !». « Vous ne savez pas de quel esprit vous êtes » répond Jésus. Là, il se démarque totalement de la figure d’Élie. Après cette marque d'inhospitalité, Jésus va imaginer cette parabole inouïe du bon Samaritain : c'est le Samaritain qui a le beau rôle ! C'est un renversement des valeurs humaines. Dans un style prophétique, Jésus dit: cette paix que vous désirez, vous vous y opposez par votre incrédulité.
Une des scènes les plus importantes est l'arrivée de Jésus devant Jérusalem. Du haut du Mont des oliviers le Seigneur éclate en sanglots, 'Dominus flevit', parce que cette ville qui devrait accueillir la paix, la refuse. C'est à ce moment qu'il dit « Malheur à vous... » ; ce n'est pas qu'il veut apporter le malheur, c'est : « Vous précipitez le malheur ! ». L'objectif de Jésus est d'apporter la paix, mais en même temps il fait le constat d'un refus. Jésus venu apporter la paix fait le constat du feu de la discorde, de la haine, du chacun pour soi, qui sont la cause de ce rejet.
L'artisan de paix, sera-t-il doux comme un agneau, ou devra-t-il faire montre d'une certaine force ?
-Être artisan de paix c'est chercher à apporter la paix à contre courant : « Si on te frappe sur la joie droite, tends la joue gauche ». Quelle est cette résistance passive ? On comprend « être artisan de paix » lorsque l'on contemple Jésus en croix.
L'évangile de Luc présente l'opposition entre les deux larrons : l'un insulte Jésus, l'autre lui dit « Souviens toi de moi » et Jésus répond « Aujourd'hui même tu seras avec moi en paradis ». Pour St Luc, c'est le pardon qui permet de subvertir la haine. La meilleure preuve est que le premier témoin du Christ qui sera lapidé, Étienne, lui aussi meurt en priant pour ses bourreaux : « Seigneur, ne leur impute pas ce péché ».
Que la mort puisse jaillir de la vie
C'est la marque absolue du martyr chrétien, à la différence de par exemple l'islam où on considère comme martyrs tous ceux qui ont succombé dans la guerre sainte. Le martyr chrétien est celui qui entre dans l'esprit du Christ, qui se donne lui-même, pour que de la mort puisse jaillir la vie. Être artisan de paix, ça suppose cet amour du Christ, qui nous met au pied du mur.
De ce point de vue, un témoin de la foi comme Jean Tinturier* et ses compagnons sont une très belle figure. Dans les paroles qu'on a conservées d'eux, il n'y a pas une parole de dureté contre les acteurs du régime nazi qui les fait souffrir.
A titre personnel, avec le recul de vos plus de cent années d'existence, quel souvenir de personnes, d'actions, vous inspire la parole de Jésus « Heureux les artisans de paix » ?
Au lendemain de la deuxième guerre, grâce à un organisme créé par les jésuites, j'ai pu deux étés de suite aller à Fribourg en Brisgau ; je me suis beaucoup lié à un séminariste, Hermann Loth, qui essayait de comprendre la situation. Ces deux séjours m'ont beaucoup marqué et toujours inspiré, sous des formes différentes. J'ai été amené à avoir beaucoup de relations œcuméniques, spécialement comme professeur à l'Institut catholique de Paris ; j'ai participé à ces rencontres de l'Institut supérieur de théologie des religions où l'on enseignait à deux, un protestant et un catholique, sur un même sujet ; j'étais très lié au pasteur Maurice Carrez, et dans mon diocèse de Bourges j'ai travaillé à cela aussi.
Vous avez créé il y a 50 ans « Accueil et promotion », une structure d'aide aux migrants qui compte aujourd'hui plus d'une dizaine de salariés. Est-ce que cela s'inscrit dans cette dynamique d'artisan de paix ?
Absolument. J'avais été frappé par la situation indigne de beaucoup de ces travailleurs et je me disais : « Qu'est-ce qu'on peut faire ? ». L'important est que pour la fondation d'Accueil et promotion j'ai eu l'aide d'un avocat qui nous a permis de faire de très bons statuts, l'aide de l'Action catholique ouvrière, et de gens heureux de participer à cette initiative ; c'était vraiment un public très varié. On a semé, ça a poussé. Elle existe toujours et c'est ma joie.
Ce que je voudrais c'est que cette année 2025 qui est le 80e anniversaire de la libération des camps nazis, ne soit pas uniquement un temps d'évocation du passé, mais le moment de se poser des questions vitales : qu'est-ce qui compte dans ma vie ? A l'heure où nous sommes tous tentés par l'individualisme, quel sens vais-je lui donner ? Quelle ouverture ?
*Jean Tinturier: séminariste de Vierzon, engagé auprès des jeunes, déporté dans les camps nazis où il meurt, comme le bienheureux Marcel Callo, militant de la Jeunesse ouvrière chrétienne, condamné à mort parce que « trop catholique ».
Recueilli par Thierry Boussier